mercredi 5 décembre 2012

Des employés témoignent de politiques discriminatoires menées par leur employeur

par Simon Delattre

Le nom et le sexe des témoins ne seront pas révélés conformément à leur volonté. Il s’agit de les protéger professionnellement, de leur permettre de parler sans risquer de perdre leur emploi. Nous ne dévoilerons pas non plus le nom de l’enseigne à défaut de preuves écrites. Le but est de protéger le journal et le journaliste d’une éventuelle plainte pour diffamation.

Le Front a décidé d’enquêter suite au témoignage d’un/d’un(e) salarié(e) d’un magasin du centre commercial Champlain à Dieppe. Dominique (prénom modifié par l’auteur) explique que « le/la gérant(e) a mis un CV à la poubelle en disant que la chaîne n’emploie pas de personnes noires pour éviter les problèmes. » Notre témoin se dit « totalement outré(e) » par ce comportement : « c'est affreux. J'ai du mal à croire qu'il y a des gens qui puissent encore penser comme cela en 2012, et au Canada en plus... » Il nous sera impossible de déterminer d’où vient précisément la directive : « Je ne sais pas si c’est une consigne établie par la direction pour l’ensemble de la chaîne ou si ça concerne seulement notre magasin », nous dit-il. Par ailleurs, il n’a pas été possible de trouver un document démontrant que ce mot d’ordre est bien réel. Dominique le déplore : « on le sait, mais on ne peut pas le prouver, car il n’y a pas de preuve écrite, ça se fait sous la table ».

Le Front est ensuite allé à la rencontre d’une autre personne, ancienne assistante de la/du gérant(e) qui a changé de lieu de travail. Elle a confirmé l’existence de cette pratique : « Une personne de couleur a été refusée à cause de ça. Mon/ma supérieur(e) a expliqué que sa direction n’en voudrait pas. Est-ce que c’est vrai ou est-ce que c’est sa propre décision, ça je ne sais pas. » Une troisième source, employée du magasin elle aussi, a reconnu les faits, mais a refusé d’être citée.

Un cas isolé?
« La vérité, c'est qu'il y a probablement beaucoup de magasins dans Champlain (je sais avec certitude qu'il y en a deux) qui n'emploient pas les noirs », assure Dominique. Ce qui est certain c’est que tous les responsables de magasin à qui nous avons posé la question ont nié l’existence de cette politique.

Roger Boulay, directeur des services aux étudiants à l’Université de Moncton, estime que « cela existe certainement ailleurs, et aussi pour les offres de logement, car il y a des personnes racistes dans toutes les communautés. »

Une étude publiée en 2012 par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse montre qu’à compétences égales (éducation et expérience canadienne), les chercheurs d'emploi de la région de Montréal ont 60 % plus de chances d'être rappelés pour un entretien d'embauche s'ils ont un nom franco-québécois plutôt qu'Africain, Arabe ou Latino-Américain.

Que dit la loi?
La pratique est d’autant plus cachée qu’elle est socialement inacceptable, mais surtout formellement illégale. En effet, la loi de 1956 sur l'équité en matière d'emploi au Nouveau-Brunswick interdit la discrimination fondée sur la race, la couleur, les croyances, le sexe et l'origine ethnique. Elle s'applique à l'embauche et à l'emploi de toute personne.

Francis Young, agent de la Commission des droits de la personne du Nouveau-Brunswick, nous dit dans quelle mesure la justice peut intervenir : « la plupart des plaintes sont réglées à l’amiable; tout est possible si les deux parties sont d’accord. Mais si la plainte ne peut être réglée, un tribunal est nommé et le tribunal détermine s'il y a eu discrimination. Si c’est le cas, il peut ordonner que des dommages-intérêt soient versés pour perte de salaire et souffrances émotionnelles. Pour mener une enquête, une personne qui se croit victime de discrimination au Nouveau-Brunswick (par exemple, une personne qui a postulé pour une poste et croit qu’elle n’a pas été engagée à cause de sa race) doit communiquer avec notre Commission et porter une plainte par écrit dans un délai d’un an après l’incident. Pour avoir gain de cause, il faut avoir des preuves à l’appui. »

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