mercredi 25 janvier 2012

Coûts du bilinguisme : une nouvelle étude sème la discorde

par Rémi Frenette

Lundi dernier, la une du Ottawa Sun avait ceci comme titre : « C’est cher, n’est pas ? » [sic.] L’article – qui aurait dû lire « C’est cher, n’est-ce pas ? », faute que le quotidien s’est empressé de corriger l’après-midi même – s’appuyait sur une étude récente menée par l’institut Fraser. Intitulé « Official Language Policies of the Canadian Provinces : Costs and Benefits in 2006 », le rapport et sa couverture médiatique en ont fait jaser plusieurs.

Selon l’institut Fraser, puisque le bien-être culturel et identitaire des communautés linguistiques est difficile à chiffrer, il faut plutôt calculer les dépenses des gouvernements provinciaux et fédéral : financement pour l’éducation dualiste (« additional costs of francophone students », p. 86), pour la traduction des documents, pour les services bilingues, etc. En bref, il faut apparemment s’imaginer « an abolition of the language policies in New Brunswick and thus the sole use of the majority (English) language in the provision of all public services. What would happen if services governed by provincial law were not offered in French but only in English? » (p. 87)

La conclusion nous apprend que les coûts du bilinguisme canadien s’élevaient à $2.4 milliards ($85 par citoyen) en 2006-2007 lorsqu’on additionne les dépenses des niveaux fédéral et provincial. (p. 110)

Le Front s’est entretenu avec Michel Doucet, professeur de droit linguistique à l’Université de Moncton, ainsi que Jean-Marie Nadeau, chroniqueur au journal L’Étoile et président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB).

Doucet souligne d’abord l’instabilité économique actuelle qui encourage certaines personnes à remettre en cause les dépenses reliées à la gestion des langues :

« Le rapport vient conforter l’opinion de plusieurs médias et de plusieurs personnes du côté anglophone, soit qu’effectivement, au Canada, le bilinguisme, ça coûte cher. Puis dans une période de pénurie comme celle-ci, qu’on pourrait utiliser cet argent-là pour faire autre chose. Donc, moi je ne suis pas surpris [de la couverture médiatique du rapport]. »

Il faut par ailleurs garder à l’esprit les coûts d’un pays qui serait unilingue sur le plan politique et institutionnel, affirme Doucet :

« Probablement que les revendications autonomistes seraient beaucoup plus fortes au Québec. Donc ça, ça a un coup social, politique et économique également. Au N.-B., on ne peut pas refuser ses droits à 30% de la population et croire que ce 30% ne dira rien. L’alternative serait de s’assimiler, mais je ne pense pas que 30% des gens auraient décidé du jour au lendemain de s’assimiler. Donc si le N.-B. avait continué sur une voie d’unilinguisme telle que celle qui existait dans les années 60 et précédentes, je crois qu’il y aurait eu un coût social, politique et économique énorme. »

Il se prononce aussi sur la méthodologie de l’étude, plus particulièrement sur les aspects qui n’ont pas été pris en compte dans le calcul :

« Sur le plan même du développement économique : au N.-B., on dit qu’il y a un coût mais on n’a pas regardé les bénéfices dans cette étude-là; c’est-à-dire des entreprises qui viennent s’installer ici parce qu’on a une main d’œuvre bilingue. »

Jean-Marie Nadeau estime quant à lui que les chiffres ressortis par le rapport de Fraser n’ont rien de scandaleux :

« Quand ça coûte $85 en moyenne au Canada pour se donner un contrat social, c’est pas cher. Déjà que les gouvernements ne suivent pas les décisions de la cour suprême, à savoir que l’égalité réelle exige de la part du gouvernement d’en donner plus [que ce qu’il donne actuellement]. [$85 par année,] c’est même pas deux cafés Tim Horton’s par semaine ! »

Un peu comme Michel Doucet, qui affirme que « L’Institut Fraser, on le connait depuis longtemps. C’est un institut de droite qui a souvent eu des positions controversées », Nadeau rapporte : « Déjà en partant, je ne suis pas un ami de l’institut Fraser. S’ils pouvaient, ils privatiseraient l’Assemblée législative puis le Parlement. On sait d’où ils viennent. »

Le plus navrant, selon Nadeau, ne résiderait pas au sein de l’étude elle-même, mais plutôt dans la couverture médiatique négative qui a suivi :

« Ce qui est un peu plate, c’est que les médias ont ramassé cette information-là sans aucun espace critique. Garrocher des chiffres comme ceux-là, c’est fermenter un peu l’adversité, la rébellion puis le négativisme contre le bilinguisme, contre l’égalité réelle, contre la dualité linguistique. »

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