mercredi 17 octobre 2012

Chronique de la RAT : Un acadien, un prêtre et un micmac

par Sylvain Bérubé

Sylvain Bérubé, cofondateur de la Réforme acadienne traditionnelle (RAT) et bachelier en science politique à l’Université de Moncton, termine présentement sa maîtrise en science politique à l’Université d’Ottawa à Ottawa. Se sentant tel un Acadien naufragé en terre inconnue, bien loin maintenant de sa terre natale, il nous fait part chaque semaine de ses réflexions en louant les bonnes vieilles valeurs de l'Acadie pré-1755.

J’ai appris que, lors d’une déportation, il est important de concevoir son « état de déportation » comme un trajet qui me mènera finalement chez nous, comme ce fut le cas pour Gabriel (en espérant que je ne meurs pas à mon arrivée). Cette leçon m’est venue lorsque j’ai croisé un curé et un micmac qui étaient en visite au Nouveau-Brunswick. À la rencontre de ces condisciples, j’ai eu l’instinct très acadien d’inviter ces deux gentilshommes pour une soirée, question d’entendre les nouvelles du pays. Comme ma chambre froide était vide, je les ai invités en ville pour souper, suite à quoi nous sommes retournés à ma cabane. Bref, grâce à ces deux personnes j’ai pu vivre une expérience spirituelle qui m’a transformé. Vous êtes-vous déjà senti transporté « dans » une autre personne? Grâce à leurs miraculeuses habiletés, j’ai pu vivre et vraiment être dans la tête d’un Acadien qui retournait en Acadie après la Déportation. Ce qui suit est le récit de cette expérience hors corps.

« Cric… crac… cric… crac… Le carrosse est bercé tendrement par la route de terre où cohabitent racines d’arbres et nids de poules. Le froid s’est installé et accompagne maintenant le vent pour une danse nocturne qui va durer jusqu’à notre arrivée à Léger Corner. Cette nuit, nous l’attendons depuis longtemps, trop longtemps. La journée a été longue. La soirée, elle n’a pas su atténuer le rythme déchainé du jour et maintenant elle laisse place à la nuit.

Tic toc… Tic toc… Le galop des chevaux nous remplit d’un énorme plaisir. Nous sommes si proches de ce village que nous avons dû quitter si jeunes. Aujourd’hui ça fait un peu plus de 25 ans que nous sommes partis de notre village. Nous avons été exilés par un homme qui ne nous connaissait pas, qui ne nous avait jamais même rencontrés! On est du bon monde quand même! Mais tout ça est fini, nous devrons être finalement arrivés à la maison d'ici la fin de la nuit. Nous sommes tellement excités, mais tellement fatigués, peut-être vais-je réussir à dormir un peu avant mon arrivé?

Bing-Bang… Bing-Bang… Ô! C’est le clocher de l’église! J’ai longtemps seulement entendu ce bruit dans mes rêves les plus nostalgiques. Finalement, je suis arrivé. Je saute en bas du carrosse qui s’est immobilisé. La maison du curé, le magasin général et… mais… où est passée l’écurie du centre-ville? Qu’est-il arrivé au nom du magasin? Depuis combien de temps y a-t-il un trottoir en bois? Cette rue est nouvelle? Le village me semble étranger, pourtant j’y ai grandi. Toute cette route, tout cet effort et le glorieux retour seulement pour constater que pendant notre absence les Anglais ont pris possession du village.

Clac… Clac… Clac… Je cogne à la porte de ma maison d’enfance. Que vais-je y trouver? Ma déception initiale de ce village transformé est vite oubliée. Cette porte, ces fenêtres me sont si familières. Mais je ne peux m’empêcher d’être rempli d’angoisse en attendant que cette porte s’ouvre. Comment serai-je accueilli?

Couinnnnn… La porte s’ouvre… »

À ce moment j’avais vu ce que j’avais à voir et j’avais compris ce que j’avais à comprendre; le Saint-Esprit m’avait ramené dans mon corps. J’ai remercié le curé et le micmac et ils sont partis peu de temps après. J’ai vite compris qu’il fallait que la Réforme acadienne traditionnelle prépare mon retour au pays. Disciple, c’est à vous de vous assurer que l’Acadie reste statique et invariante dans un modèle pré-Déportation. Je vous fais confiance : je ne veux pas vivre cette même déception.

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