mercredi 14 novembre 2012

Se souvenir… mais de quoi?

Par Simon Delattre

Le Jour du Souvenir est particulièrement célébré au Canada par la population et les hommes politiques pour rendre hommage à ceux qui sont tombés au combat, notamment pendant les deux guerres mondiales. Pourtant cette partie de l’Histoire n’est pas enseignée en priorité à l’école.

Une cérémonie de commémoration pour les anciens combattants se déroulait dimanche 11 novembre autour du monument aux morts, situé entre la rue Curry et l’Avenue Massey qui borde l’Université de Moncton. Le drapeau canadien flottait au rythme du vent, le rouge des coquelicots décorant le torse des membres de l’assistance frappait le regard et l’air grave du public ajoutait encore un peu de solennité à la scène. Plusieurs soldats des forces armées se tenaient en rang, droit, l’arme le long du corps. Les habitants de tous âges qui s’étaient déplacés spécialement pour l’occasion se sont tus pendant les discours célébrant l’action des soldats tués lors des conflits auxquels le pays a pris part. Tous ont ensuite défilé dans les rues au son des cornemuses.

« Je me suis battu pour la paix et la liberté »
Votre serviteur du Front a rencontré un ancien combattant, Murray Rogers. La voix éteinte par 88 années d’existence, il raconte son récit marquant : « Je faisais partie de la légion Sunny Brae, nous avons été envoyés combattre en Europe lors de la Seconde Guerre. Parmi mon groupe, seuls 3 sont revenus vivants, les 29 autres sont morts. Mon frère Emery a succombé alors qu’il n’avait que 19 ans, son nom est inscrit sur ce monument. J’ai participé aux opérations en France, en Belgique, jusqu’en Allemagne. Je ne me souviens plus du nombre exact de soldats ennemis que j’ai tués, mais je me suis battu pour la paix et la liberté. Je suis là aujourd’hui pour que la génération présente sache pourquoi tant d’hommes ont donné leur vie. » Ce jour du Souvenir a été créé entre les deux guerres mondiales, et reste célébré chaque année avec la même ferveur. Mais les jeunes générations savent-elles exactement ce qu’elles commémorent? Ont-elles appris pendant leurs cours d’histoire pourquoi leurs ancêtres sont morts?

Une période sombre pas toujours étudiée à l’école
Joceline Chabot, professeure de l’Université de Moncton où elle enseigne l’histoire de l'Europe contemporaine, explique : « Chaque province a son propre programme. Au Nouveau-Brunswick, le cours sur l'histoire du 20e siècle n'est pas obligatoire. Généralement les cours d'histoire au secondaire ne peuvent s'attarder longuement sur les deux guerres mondiales, car la matière à couvrir est souvent très vaste. » Maurice Basque, historien à l’institut des études acadiennes, ajoute « L'enseignement de l'histoire au Canada est complexe et varié : même au sein du Nouveau-Brunswick, les Acadiens n'ont pas le même contenu de cours que leurs voisins anglophones. »

En 1996 déjà le rapport Lacoursière sur l’enseignement déplorait « que le cours d’histoire du 20e siècle soit un cours à option auquel ne s’inscrivent qu’environ 15-pour-cent des élèves ». La Coalition pour l’histoire, une organisation militant pour une réforme de l’enseignement de cette matière, demande au gouvernement dans son rapport de février 2012 de rendre l’histoire du 20e siècle obligatoire. Selon les auteurs « la connaissance de l’histoire du 20e siècle est essentielle pour décoder le monde actuel ». Cette étude québécoise révèle que 77 % des enseignants de 5e secondaire interrogés affirment que le contenu du programme actuel ne leur permet pas de couvrir cette période avec leurs élèves.

Former des citoyens ou des techniciens?
Pour Jocelyn Tiron du département d’histoire à l’Université, les lacunes des programmes du secondaire sont alarmantes : « De nombreux étudiants entendent parler pour la première fois à l'université d'Alexandre, Cléopâtre, ou même Hitler! Le souvenir de la Shoah va peu à peu se dissiper à mesure que les derniers survivants disparaîtront. La Deuxième Guerre mondiale? Peu importe quand les consommateurs sont davantage incités à comparer le prix de leur dernier iPhone... Les programmes scolaires sont de la responsabilité des gouvernements provinciaux qui leur donnent, ou non, une certaine ambition : former de bons techniciens ou de bons consommateurs, et moins des citoyens cultivés et autonomes capables de raisonner et réfléchir par eux-mêmes et de s'assumer comme êtres humains libres... »

Simon Racine, originaire du Québec, dit quant à lui n’avoir jamais étudié la Shoah au secondaire : « J’en ai entendu parler, mais uniquement en me documentant par moi-même ». Elle est pourtant l’évènement le plus noir du siècle dernier, ce fut l'extermination planifiée par l'Allemagne nazie des trois quarts des Juifs d'Europe, soit six millions de victimes (8 fois la population du Nouveau-Brunswick). Les Juifs, désignés par les nazis comme une « race inférieure », furent affamés dans les ghettos de Pologne, assassinés par des fusillades massives, par le travail forcé et dans les chambres à gaz des camps d'extermination. L'horreur de ce génocide est unique dans l'histoire de l'humanité. Le devoir de mémoire dépasse le cas canadien et doit faire réfléchir tout être humain, pour la tolérance, le respect de la vie et contre les fanatismes, qu’ils soient idéologiques ou religieux.

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